Texte du CA de MQRP(avec Dre Karyne Pelletier comme auteure principale) publié  dans La Presse en réplique à la publication de de Patrick Dery de l’IEDM qui suggérait le recours au privé pour améliorer la situation des urgences du Québec.

Le 12 juillet dernier l’IEDM publiait une note économique, relayée par La Presse, visant à démontrer qu’il était grand temps que la gestion des hôpitaux soit confiée à des intérêts privés afin d’améliorer la situation des urgences dans les hôpitaux du Québec. M. Déry, auteur de la note, propose même un projet-pilote, où la gestion de certains hôpitaux seraient confiée à des entreprises privées à but lucratif, et annonce sans nuance que « leur capacité d’innovation, leur souplesse et leur réactivité » garantiraient des solutions au problème des débordements à l’urgence. Sans nier qu’il existe de réels problèmes dans les urgences québécoises, nous sommes d’avis que le recours à la gestion privée n’est pas la panacée promise par M. Déry, bien au contraire.

M. Déry cite l’exemple d’un hôpital privé en Suède – le seul du pays – où les résultats sont « spectaculaires », c’est-à-dire que le taux d’attente à l’urgence y est le plus bas au pays. Faut-il s’étonner de ces résultats ? Il est bien évidemment probable que dans le seul hôpital privé du pays, où seule la population la mieux nantie a accès aux soins, l’achalandage soit moindre et par le fait même le temps d’attente. Rien n’indique par ailleurs que la qualité des soins y soit meilleure, mais l’accessibilité des soins elle, est certainement réduite. Et surtout, rien dans ces résultats ne permet d’affirmer que c’est la privatisation de la gestion qui fait la différence ! Qui plus est, les infirmières.ers, préposées.és et les médecins n’ayant pas encore le don d’ubiquité, employer des professionnels.elles dans tout nouvel hôpital « privé » prive directement le réseau public de ces mêmes professionnels.elles… contribuant encore davantage à la « moins bonne performance » du réseau public. Est-ce vraiment de ce système à deux vitesses dont le Québec a besoin ? Poser la question c’est y répondre.

 

Est-ce que le privé offre réellement de meilleurs soins ?

L’IRIS publiait récemment une note[1] à ce sujet, expliquant comment le financement privé en santé « exerce une pression inflationniste sur les prix et nuit à la qualité et à l’accessibilité des soins ». Un article[2] publié dans The Lancet en 2016 offre également un éclairage intéressant sur cette question. Cette analyse longitudinale, basée sur des données de l’OMS provenant de 75 pays, s’est intéressée à l’impact de la récente crise économique mondiale sur la mortalité associée aux cancers les plus courants (sein, prostate, colorectal, poumon et pancréas). Ces données démontraient qu’une hausse du taux de chômage dans la population était associée à une augmentation de la mortalité sauf dans les pays qui bénéficiaient d’un régime public de soins de santé. Les auteurs de l’étude concluent qu’il y aurait eu en fait 40 000 « morts de trop », c’est-à-dire des gens qui avaient un cancer curable qui n’a pas été soigné. En somme, dans un contexte de crise économique, les coûts associés à un régime privé de santé devenaient trop importants et les gens ne pouvaient tout simplement plus se les payer, faisant en sorte que plusieurs personnes sont décédées pendant cette période d’une maladie possiblement curable, faute d’avoir accès aux soins.

Bien sûr, ces données ne concernent pas directement les performances des salles d’urgence, mais elles illustrent de façon flagrante que le discours voulant que le privé soit la solution miracle pour l’amélioration des soins est tout simplement fausse. Qui plus est, une autre étude[3] menée cette fois par des chercheurs de Toronto, démontre également clairement que les listes d’attente augmentent lorsqu’on implante un système privé parallèle pour un soin de santé. Ces résultats s’expliquaient par trois facteurs principaux : 1) le système privé draine des ressources provenant du système public, 2) ceux qui donnent des soins au privé ont intérêt à garder de longues listes d’attente au public pour s’assurer une clientèle et 3) le privé augmente de façon globale les coûts de santé, que ce soit via le choix de traitements plus coûteux bien que non nécessaires, ou le recours aux hôpitaux publics pour la gestion des complications survenues lors de procédures faites au privé.

 

Quelle est la solution ?

Le problème des séjours prolongés à l’urgence est bien réel au Québec. Il est possible que dans certains cas on puisse remettre en question les mécanismes de gestion interne, mais l’attente à l’urgence est aussi le symptôme d’une problématique plus large : difficulté à hospitaliser un patient rapidement par manque de lits aux étages, difficulté à transférer le patient vers une ressource externe plus appropriée comme un CHSLD, manque de ressources dans les soins à domicile, consultations à l’urgence pour des problématiques mineures en raison de difficulté d’accès à la première ligne.

Le dernier rapport[4] du Commissaire à la santé et au bien-être en 2016 faisait ces constatations, mais proposait également de s’inspirer de 5 urgences « performantes » au Québec. Les caractéristiques communes de ces urgences sont simples : elles misent sur la collaboration entre les professionnels.elles de la santé et entre les différents départements du même hôpital, sur une collaboration étroite avec les ressources de première ligne et sur des outils visant à suivre la performance. Tout ceci sans avoir recours au privé.

Garantir le droit à la santé implique au contraire de sauvegarder et de continuer à développer le système public. Une gestion réellement publique, éloignée des principes de l’entrepreneuriat, permet d’organiser les soins en mode collaboratif plutôt que compétitif, et de planifier les soins dans un souci de qualité, d’accessibilité et de pertinence. C’est de ça dont le Québec a besoin.

 

 


[1] Hébert, G. (2018). Les effets pervers du privé en santé. Téléchargé de : https://iris-recherche.qc.ca/blogue/les-effets-pervers-du-prive-en-sante

[2] Maruthappu et al. (2016). Economic downturns, universal health coverage, and cancer mortality in high-income and middle-income countries, 1990–2010: a longitudinal analysis. The Lancet, 388 (10045), p. 684-695.

[3] Tuohy et al. (2004). How does private finance affect public health care systems? Marshaling the evidence from OECD nations. Journal of Health Politics, Policy and Law, 29 (3), p. 359-396.

[4] Commissaire à la santé et au bien-être (2016). Apprendre des meilleurs : étude comparative des urgences du Québec. Téléchargé de : https://www.csbe.gouv.qc.ca/fileadmin/www/2016/Urgences/CSBE_Rapport_Urgences_2016.pdf