On apprenait dans La Presse le 23 août dernier que la première clinique canadienne de protonthérapie allait ouvrir ses portes à Montréal d’ici 2020[1].
Cette nouvelle technologie basée sur l’émission de protons principalement utilisée en oncologie pédiatrique est plus précise, mais plus coûteuse que la radiothérapie dite “conventionnelle”, qui est basée sur l’émission de photons. Elle est réservée à un nombre restreint de patients qui devaient jusqu’alors se déplacer aux États-Unis pour bénéficier de ces traitements dont le coût est souvent supérieur à 250 000$ par patient, payés par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Il est à noter que l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) ne mentionnait que quatre indications reconnues à la protonthérapie dans son rapport de mai 2017 basé sur les plus récentes données probantes, soit le cancer de l’oeil, les cancers pédiatriques, les cancers du systèmes nerveux central et les cancers de la base du crâne et du rachis[2]. Toujours selon l’INESSS, la recherche à venir laisse toutefois présager un élargissement des indications cliniques d’ici environ trois ans.
Dans les faits, de 2010 à 2017, 76 patients québécois ont pu obtenir ce traitement pour la somme de plus de 15 millions $. Le nombre de patients ayant triplé en 6 ans et le coût moyen d’un traitement étant passé de 167 682 $ en 2010 à 350 613 $ en 2015, nous aurions pu nous réjouir de l’ouverture d’une clinique québécoise de protonthérapie. Et pourtant non. Pourquoi?
Le projet de clinique de protonthérapie a été confié à une clinique privée par le gouvernement suite à un processus d’évaluation qui demeure pour le moins nébuleux et peu transparent, situation qu’il nous apparaît important de dénoncer. En effet, c’est le Groupe CDL qui se chargera de la construction du nouveau centre au coût de 70 millions $ et qui financera le projet avec l’aide de deux investisseurs européens non nommés.
L’on apprend maintenant qu’un groupe de médecins experts du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) planchait sur ce projet depuis une dizaine années déjà[3]. Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, argumente qu’un centre de protonthérapie ne pourrait être “rentable” dans un hôpital public en raison d’un volume de cas trop bas. Il a donc été décidé de “laisser” le Groupe CDL prendre les risques financiers associés à l’ouverture de cette clinique pour que Québec ne paie ensuite à l’entreprise privée que pour les coûts des traitements des 15 à 20 patients estimés par année. Le Groupe CDL mentionne quant à lui qu’il sera rentable en ouvrant ses portes à des patients d’ailleurs au Canada et du nord-est des États-Unis.
Ce qui n’est pas mentionné par le Dr Barrette, c’est qu’envoyer les patients québécois au privé pourrait coûter de 10 à 25 millions de plus par année qu’un projet au sein du système public selon l’équipe de radio-oncologues du CUSM[4]. Bien évidemment, une entreprise privée qui “prend un risque financier” n’offrira pas de rabais au gouvernement du Québec si elle veut rentabiliser son investissement. Ces sommes supplémentaires, engendrées par les profits que tirera le Groupe CDL, devront être payées à long terme par Québec puisque la durée de l’entente avec le Groupe CDL n’a pas été rendue publique. Dr Tarek Hijal, directeur par intérim de la division de radio-oncologie au CUSM, souligne également que “dans son rapport de 2017, l’INESSS conclut qu’en se basant sur le nombre de patients traités dans d’autres pays, le nombre de patients québécois pourrait être de 119 par année ou plus”. Nous sommes bien loin des 15 à 20 patients par année estimés par le Ministère de la santé pour justifier le privé.
Le plus troublant est d’apprendre que le projet public de l’équipe du CUSM aurait pu être payés par le Fonds canadien pour l’innovation et les fondations du CUSM. Leur budget prévoit des frais de 40 à 50 millions $ pour la salle de protonthérapie comparativement au 70 millions prévu par le Groupe CDL. La proposition du CUSM faite au Ministère il y a quelque mois a été refusée sans explication la veille de l’annonce de l’entente avec le privé.
Cette dérive au privée met également à risque la santé des jeunes enfants qui devront être anesthésiés pour subir ces traitements. « Imaginez une complication grave chez un enfant anesthésié, loin du soutien médical d’un établissement de soins pédiatrique. » mentionne Jan Seuntjens, professeur et directeur de physique médicale à l’université McGill. Il serait également plus rassurant pour les enfants et leur famille d’être dans un centre hospitalier familier avec des membres de l’équipe médicale connus. À noter qu’un tel centre privé de protonthérapie nécessite la présence de médecins radio-oncologues, de physiciens médicaux, d’anesthésistes, d’infirmières et de technologues, ressources humaines dont sera privé le système de santé public.
Il est inacceptable de confier ce soin de santé au privé alors que tout indique que les coûts y seront plus élevés. Il est également inadmissible d’avoir balayé du revers de la main la proposition compétitive et publique du CUSM sans aucune explication. Cette brèche inacceptable dans notre système public doit être refermée dès maintenant; si l’on considère que la protonthérapie est un soin médicalement requis, alors le développement, la gestion et l’administration de la protonthérapie devraient être publics.
[1]Perreault, Mathieu. Une clinique privée offrira des soins de protonthérapie payés par la RAMQ. [document électronique]. La Presse, 23 aout 2018, http://www.lapresse.ca/actualites/sante/201808/23/01-5193958-une-clinique-privee-offrira-des-soins-de-protontherapie-payes-par-la-ramq.php
[2]COLLECTIF. Mise à jour des indications de la protonthérapie en oncologie. [document électronique]. INESSS, 15 mai 2017, https://www.inesss.qc.ca/nc/en/publications/publications/publication/mise-a-jour-des-indications-de-la-protontherapie-en-oncologie.html
[3]Perreault, Mathieu. Protonthérapie: Québec a choisi le privé, déplorent des médecins. [document électronique]. La Presse, 4 septembre 2018, http://www.lapresse.ca/actualites/sante/201809/04/01-5195107-protontherapie-quebec-a-choisi-le-prive-deplorent-des-medecins.php
[4]Ibid.