Montréal, le 2 mars 2022 – Le 17 février dernier, Maria Lily Shaw, de l’Institut économique de Montréal, publiait dans La Presse une recette en six étapes pour réformer notre système de santé. Médecins québécois pour le régime public souhaite apporter des nuances importantes à cette recette simpliste positionnant la privatisation comme vecteur principal de changement. Il importe évidemment de se pencher sur des solutions et de possibles réformes permettant d’augmenter l’efficacité et l’accessibilité de notre système de santé. Toutefois, ces solutions doivent être basées sur des données probantes et les meilleures pratiques, permettant un accès équitable et universel aux soins de santé au sein de notre société.
L’assurance duplicative
L’auteure suggère la levée de l’interdiction de souscrire à une assurance duplicative empêchant la pratique mixte publique et privée des médecins. En soi, la pratique mixte soulève des enjeux éthiques importants par le conflit d’intérêt flagrant que cela engendre. Un médecin travaillant à la fois au public et au privé peut référer ses propres patients vus au public pour prodiguer des soins au privé et augmenter ses revenus. De plus, historiquement au Québec, ce genre de mesure ne permet pas la diminution des listes d’attentes. Rappelons-nous le jugement Chaoulli en 2005 qui avait permis l’assurance duplicative pour les chirurgies de la hanche, du genou et des cataractes : plus de 15 ans plus tard, les temps d’attente sont restés les mêmes ou se sont même allongés pour ceux qui n’avaient pas les moyens d’acheter une assurance privée. Cet exemple saillant dans notre propre province est la preuve que la solution n’est pas la levée de l’interdiction de souscrire à une assurance duplicative. L’assurabilité privée n’est pas universelle et favorise indéniablement les personnes en meilleure santé, issues de milieux socio-économiques aisés, ce qui diminuerait l’accessibilité aux soins pour les patients se voyant refuser d’être assurés par le privé.
Un système à deux vitesses
Qui plus est, chaque professionnel de la santé travaillant au privé est un professionnel de la santé de moins dans le réseau public. À ceci, l’auteure propose trois mesures pour accroître le nombre de professionnels de la santé : la simplification du processus d’intégration pour les médecins formés à l’étranger, l’élimination des quotas dans les facultés de médecine et la création d’un permis national permettant aux médecins de pratiquer partout au pays. Force est de constater que ces solutions font fi de beaucoup d’enjeux. Par exemple, les quotas dans les facultés de médecine sont basés sur les besoins populationnels, les capacités d’enseignement des milieux cliniques et les permis de pratique disponibles. Ensuite, les médecins au Canada sont licenciés uniformément et peuvent donc déjà travailler dans l’ensemble du pays. Bien que nous reconnaissons le besoin de former davantage de médecins et de mieux intégrer les médecins formés à l’étranger, ce sont des enjeux plutôt complexes qui ne se réduisent pas aux constats miraculeux véhiculés par l’auteure. À cet effet, nous proposons dix solutions portant spécifiquement sur l’accès à la première ligne au Québec, dont mettre à contribution l’expertise des professionnels autres que médecins (infirmières praticiennes, pharmaciens, physiothérapeutes, etc.) dans la prise en charge des patients en première ligne.
Finalement, l’auteure propose un financement des hôpitaux en fonction des activités et la délégation de la gestion de ceux-ci à des entrepreneurs. L’auteur mentionne même que cette solution est “testée et approuvée”, ce à quoi nous nous questionnons légitimement: par qui?
Est-ce que le privé offre réellement de meilleurs soins ?
Tel que déjà exprimé dans une lettre ouverte portant sur l’entrepreneuriat dans les hôpitaux du Québec1, lorsqu’on se penche sur les études portant sur les indicateurs de santé et le caractère privé versus public d’un système de santé, on se rend compte que la privatisation n’est pas la solution. À ce sujet, l’IRIS soutient que le financement privé en santé « exerce une pression inflationniste sur les prix et nuit à la qualité et à l’accessibilité des soins »2. Un article publié dans The Lancet en 2016 offre également un éclairage intéressant sur cette question3. Cette analyse longitudinale, basée sur des données de l’OMS provenant de 75 pays, s’est intéressée à l’impact de la récente crise économique mondiale sur la mortalité associée aux cancers les plus courants. Ces données démontrent qu’une hausse du taux de chômage dans la population est associée à une augmentation de la mortalité sauf dans les pays qui bénéficient d’un régime public de soins de santé. Les auteurs de l’étude concluent qu’il y aurait eu en fait 40 000 « morts de trop », c’est-à-dire des gens qui avaient un cancer curable qui n’a pas été soigné. En somme, dans un contexte de crise économique, les coûts associés à un régime privé de santé devenaient trop importants et les gens ne pouvaient tout simplement plus se les payer, faisant en sorte que plusieurs personnes sont décédées pendant cette période d’une maladie possiblement curable, faute d’avoir accès aux soins.
Plus récemment, les effets catastrophiques de la pandémie sur les centres de soins longue durée ont ravivé le débat sur la privatisation des soins. Or, comme nous le démontrions dans notre rapport annuel 2020, une corrélation entre établissement privé et diminution des standards de soins a plusieurs fois été démontrée dans les études. Par exemple, une étude canadienne publiée en 2016 démontre que les établissements privés à but lucratif prodiguent des soins de qualité inférieure, et présentent plus souvent des déficiences majeures que les établissements publics4. Une autre étude ayant analysé 640 établissements de soins longue durée en Ontario démontre que les taux de mortalité et d’admission à l’hôpital sont significativement plus élevés dans les résidences privées subventionnées par le public (privé conventionné) que dans les établissements publics5. Ceci était vrai un an, trois ans et six ans après le transfert des patients dans ces résidences.
Bien sûr, ces données ne concernent pas directement les solutions présentées par l’auteure, mais elles illustrent de façon convaincante que le discours voulant que le privé soit la solution miracle pour l’amélioration des soins est tout simplement faux.
1 Pelletier, K. (2018). Réponse de MQRP: les hôpitaux du Québec n’ont pas besoin de plus d’entreprenariat. La Presse.
2 Hébert, G. (2018). Les effets pervers du privé en santé. Téléchargé de : https://iris-recherche.qc.ca/blogue/les-effets-pervers-du-prive-en-sante
3 Maruthappu et al. (2016). Economic downturns, universal health coverage, and cancer mortality in high-income and middle-income countries, 1990–2010: a longitudinal analysis. The Lancet, 388 (10045), p. 684-695.
4 Ronald LA, McGregor MJ, Harrington C, Pollock A, Lexchin J. (2016). Observational Evidence of For-Profit Delivery and Inferior Nursing Home Care: When Is There Enough Evidence for Policy Change? PLoS Med 13(4): e1001995. https://doi.org/10.1371/journal.pmed.1001995
5 Tanuseputro,P.,Chalifoux,M.,Bennett,C., Gruneir,A., Bronskill,S., Walker,P., Manuel,D. (2015). Hospitalization and Mortality Rates in Long-Term Care Facilities: Does For-Profit Status Matter?. Journal of the American Medical Directors Association. Volume 16. Issue 10. ISSN 1525-8610. https://doi.org/10.1016/j.jamda.2015.06.004